Cette période, tant étonnante que tragique, m’a donné envie de me plonger dans des livres. Un de ces livres m’a particulièrement interpelée de par ses théories vieilles de plusieurs millénaires qui arrivent si bien à expliquer les maux de notre société contemporaine. Il s'agit de l’essai « Apprendre à Vivre » de Luc Ferry. Ces théories ont pris pour moi un sens tout particulier lorsque je les ai confrontées à notre situation de confinement,période propice à l'acquisition d’une raison intérieure…
Parmi les théories philosophiques de nos jours figurent des idées présentes dans les prémices de l’histoire de la philosophie. Certaines de ces idées ont perduré à travers le temps, des stoïciens jusqu’aux philosophes contemporains car elles touchent aux sentiments que tout homme peut ressentir au cours de sa vie, qu’il agisse de son passé, de son présent ou de son futur.
La théorie sur laquelle je souhaite me pencher ici est peut-être l’une des plus profondes de la psychanalyse : il s’agit du principe de finitude, première peur de tout être et grand problème de notre société car en découle de nombreuses conséquences. La finitude est la chose que nous redoutons tous. En dehors de la mort, nous redoutons la fin des choses en général. Cette angoisse nous pousse dans une recherche de la prolongation des choses, nous cherchons à tout prix un moyen pour obtenir une chose éternellement et dans toute logique des choses, une fois la fin de cette dernière arrivée, viennent le regret et la nostalgie. Comme l’expliquent les stoïciens, deux sentiments partagent l’homme dans sa vie mais l’amènent vers une même conclusion. Pour reprendre l’expression de Luc Ferry, philosophe contemporain, Les deux grands maux de l’existence sont le poids du passé et les mirages du futur. Ces deux choses empêchent l’être d’accéder à l’épanouissement. Cette peur de l’avenir fonctionne tant sur le plan sentimental que sur le plan affectif: la peur de perdre un être cher, de ne pas savoir de quoi demain sera fait, de peut-être ne pas avoir de travail, ou encore de ne pas pouvoir combler toutes nos envies matérielles et immatérielles. Le futur incertain ainsi que sa possible finitude dans un laps de temps inconnu est source de beaucoup de mal. Nous sommes ainsi, d’après de nombreux courants de la philosophie, sans cesse inquiets du futur. Sans aucune assurance du futur, nous n’avons de certitude que concernant le passé et les souvenirs qu’il nous reste. L’homme se raccroche alors à ses souvenirs de bons moments, moments idéalisés et transformés en sentiments de nostalgie. Restent encore les mauvais souvenirs qui nous amènent à la mélancolie. L’homme est dès lors toujours préoccupé par son passé et son futur dans une société qui avance et qu’il s’efforce de suivre.
Ainsi, la quête du bonheur n’aboutit jamais…
Comme Freud le dit : Celui qui reste prisonnier de son passé sera toujours incapable de jouir et d’agir. Cette théorie n’est elle pas applicable dans une société où le profit et la rentabilité sont les maîtres mots, où le statut social montre l’accomplissement d’une vie, où les réseaux sociaux accentuent la rivalité entre chacun et où l’individualisme et le matériel sont rois ? Y’a-t-il dans cette société une place pour un bonheur « vrai » tel que les philosophes essayent de le définir ? Sans affection superflue tant matérielle que humaine, sans rivalité que nous nous efforçons de vaincre, sans supériorité sociale, raciale ou encore économique ? Toutes ces choses semblent toujours avoir existé et peuvent même parfois sembler normales lorsqu’elles ne sont pas questionnées. N’y a-t-il pas une seule chose qui puisse nous mettre tous sur le même pieds d’égalité ? Une chose qui pourrait tous nous toucher tant pauvres que riches, tant asiatiques qu’africains ou encore européens ? Peut-être que notre génération a vécu cette chose ? Peut-être est-elle venue à nous ? Peut-être que la clé de la quête du bonheur nous est arrivée par hasard?
Si l’on essaye de tirer des leçons de la période mystérieuse que nous vivons, nous pouvons dire que notre avenir incertain est certes présent mais peut-être nous est-il impossible d’y réfléchir si d’une certaine manière, nous sommes sans savoir quand notre vie pourra continuer hors de chez nous. Il nous reste effectivement notre passé auquel nous pouvons longuement penser mais penser - bien que ce soit une activité ne nous permet pas d’occuper les mois de quarantaines que nous pouvons connaître - nous pouvons alors essayer d’imaginer que nous sommes dans un entre-deux, entre le passé et le futur, entre la nostalgie et la peur de l’avenir. Nous vivons désormais l’instant présent. Pour citer Sénèque ; « La crainte de l’avenir, le souvenir des maux anciens. Ceux-ci ne me concernent plus et l’avenir ne me concerne pas encore » . Pour revenir sur cette quarantaine à laquelle on fait face, elle nous est imposée pour une question de santé mondiale : une raison qui en principe nous rend tous égaux, tous à risques tant les jeunes que les plus âgés. Face à une épidémie nouvelle contre laquelle aucun vaccin n’a encore été trouvé, nous présentons tous les mêmes risques de contaminer les autres ou d’être contaminés soi-même. Ainsi, tous égaux devant un fléau mondial, la seule chose à faire est bien de rester confiné chez soi. Presque toute activité économique étant stoppée, il nous est désormais impossible de réfléchir ou d’essayer de planifier notre futur. Nous sommes comme bloqués dans le présent, forcés de vivre au jour le jour, forcé de profiter de ce que nous avons et de ne pas espérer mieux. Le superflu est resté dehors et nous sommes bloqués dedans. Nous pouvons désormais apprécier plus, profiter mieux. Le stoïcisme, dévalorisant un peu l’espérance, nous demande « D’espérer un peu moins et aimer un peu plus ». Cette philosophie n’a pas seulement touché la partie occidentale du monde mais est également un principe fondamental de la religion bouddhiste :
Il faut apprendre à vivre comme si l’instant le plus important de ta vie était celui que tu vis en ce moment-même, et les personnes qui comptent le plus, celles qui sont en face de toi. Car le reste n’existe tout simplement pas, le passé n’étant plus et l’avenir pas encore.
N’est ce pas presque une définition de ce que nous vivons en ce moment en pleine quarantaine ?
Ce qui n’est moins sûr aujourd’hui, c’est que les oiseaux doivent être bien étonnés de voir les humains en cage…